joug britannique qu’ils ne sollicitaient une existence sous la botte mauricienne. Nous ne nous faisions pas non plus à l’idée de déraciner nos familles, d’abandonner les dépouilles de dix générations de nos ancêtres enterrés à Rodrigues, pour naviguer vers un pays étranger. Cependant, pendant ces journées de violences à Maurice, propres à figer le sang dans les veines, des gens mouraient dans la rue; nous craignions d’être nous-mêmes tabassés. La réalité de l’époque donnait le frisson. Plusieurs prirent la décision d’émigrer, abandonnant qui ses biens, qui sa maison et sa terre, pour s’enfuir au Canada, en Australie, en France, en Angleterre, en Afrique du Sud et à d’autres parties du monde. Beaucoup en sont encore touchés au vif.
En 1968, avant que l’encre ait séché sur la constitution unilatéralement ébauchée pour l’indépendance, dans une nuée de gaz lacrimogène, des policiers brandissant leur matraque tentèrent en vain de hisser le drapeau mauricien au sommet de Port Mathurin. C’est ainsi que, du jour au lendemain, les Rodriguais devinrent des citoyens mauriciens contre leur gré. Comme les Rodriguais continuaient à défier le pouvoir du nouveau gouvernement et étaient prêts à manifester par des émeutes contre la corruption on fit appel aux troupes britanniques pour étouffer le soulèvement.
Admettons qu’après le départ des Anglais en 1968, nos mains n’étaient pas coupées. N’empêche que Rodrigues fût réduite à un fief mauricien, où la marginalisation devint vite la norme institutionnelle. En comparaison avec les Mauriciens, nous nous trouvâmes vite face à un taux de chômage, un coût de la vie et une mortalité enfantine plus élevés, à un